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Mari-Mai Corbel / Mouvement

Euphémismes, de la maladie du discours ou (Donnez-nous notre délire quotidien…), par Mari-Mai Corbel / Mouvement

 

Euphémisme projette de mettre en représentation les processus de toute nature qui aboutissent à la montée de l’extrême-droite, soit à une déstructuration de l’équilibre politique de la cité – entendons par « cité », la société politisée qui apparaît en même temps que le théâtre dans l’antiquité grecque : d’où que le théâtre dans ce qu’il a de pur – quand il est acte, geste, engagement sur un plateau –  soit politique, ou redonne un sens au « politique », autre que celui, mortifié aujourd’hui et propre au marché électoral.

Par le titre même, Elsa Ménard indique que ces processus de toute nature procèdent en premier d’une rhétorique, de figures de langage, pour ne pas dire d’une défiguration du langage, à travers un complexe d’effets de langage, complexe qui a sa dynamique perturbatrice, déstabilisante pour le locuteur comme pour l’auditeur, avec une capacité à réactiver tous les fantasmes et à morceler le sentiment d’identité. Euphémisme comporte bien une force théâtrale au sens où le théâtre est originairement une question de langage.

C’est cette défiguration quotidienne dans laquelle nous sommes immergés par le bruissement médiatique ininterrompu, qu’il s’agit de « décoller » légèrement de notre réel, qu’il s’agit de découper, prélever, déplacer jusque sur la scène, pour le faire entendre, pour mettre en relief la fonction délirante qui l’anime.

Pour cela, Elsa Ménard fait se succéder deux registres textuels : le premier, des prélèvements de discours opérés dans le champ du réel, du réel du médiatique, et le second, une écriture propre au projet qui, elle, rend compte comme ces mêmes discours nous emberlificotent. Discours de mauvaise foi ou, plus subtilement, discours hantés par le fantasme, délirant. On délire le monde et pas sa famille, dit Gilles Deleuze dans L’Abécédaire à la lettre D comme désir.

Le prélèvement de textes appartient à une tradition théâtrale. Pour Pascal Rambert qui, dans AFTER/BEFORE (2005), a entièrement non-écrit le texte à partir d’interview filmées et d’un montage, c’est un « banal travail de théâtre ». Jean-Pierre Vincent, dans les années 80, mit en

scène la transcription des enregistrements frauduleux qu’il avait fait d’un procès de droit commun à Strasbourg.

Ce qui distingue Euphémismes, c’est le mixage avec des éléments textuels para-fictionnels –  des parties écrites entièrement – et la nomination de néo-personnages à partir de périphrases : « Monsieur ça Va Pas Non », « La Femme Politique de Droite », « L’Homme Politique de Gauche »…

C’est aussi une question d’éthique théâtrale : il serait presque pervers de livrer tel quel les discours réels, tel qu’eux-mêmes se délivrent dans le quotidien, alors qu’ils ont une puissance mortifère, corrosive, fascinante-fascisante. Ici leur écoute, rend audibles leurs incohérences, leurs contradictions grossières. On entend le délire mis en regard par le commentaire artistique, on n’est plus seulement une proie fascinée, figée par le trauma que le délire inflige en même temps qu’il s’assène.

On voit les tours de passe-passe que le discours opère. Les passages où les acteurs jouent le parti pris délirant sont décapants. Ils renvoient celui qui écoute et regarde à sa propre présence à lui-même, peut-être parce que quelque part, personne ne peut se tenir quitte de ces travers de langage, de ces tics, ou de ces envolées délirantes.

Les acteurs ne jouent pas des personnages mais des discours. C’est cela aussi qui rend justice d’une présence à soi : une prise de conscience que la croyance en la subjectivité singulière est une illusion ; que l’identité, aussi., que nous ne sommes que des agencements de discours plus ou moins bien raccommodés.

Les acteurs se présentent comme des émetteurs de langages, qui portent sur eux une pancarte indiquant en quelques mots leur identité : « Monsieur ça Va Pas Non », « L’homme Noir »… Ces pancartes ou ces noms que portent les acteurs, indiquent que le rapport entre l’individu et son nom, est analogue à celui entre un mot et sa  chose. Entre signifiant/signifié. Cela suggère qu’entre l’identité civile et l’homme, il y a une faille, un noir où le langage s’engouffre pour délirer. Ça joue sur le clivage, sur la division du sujet. Le sujet est divisé, l’inconscient structuré comme un langage (Lacan), ce qui veut dire que l’on naît dans un langage qui nous fait. Le langage : chargé d’inconscient collectif, c’est-à-dire de l’idéologie nécessaire aux pouvoirs (Foucault).  Quand on parle d’identité, très vite, on bascule dans un langage qui tourne à vide, dans un inconscient…

Euphémismes constitue un projet crucial dans le paysage théâtral actuel. Parce que c’est bien à l’endroit du théâtre – là où le langage se met en représentation – que peut se justifier la réflexion sur une détérioration de la tradition politique qui fonde les sociétés contemporaines occidentales. En cela, Euphémismes n’a pas besoin de déstructurer le rapport scène/salle : il suffit d’un côté  de faire entendre et de l’autre d’écouter, pour commencer à voir…

Mari-Mai  Corbel. Mouvement.

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Michel Verret / Sociologue

Lettre de Michel Verret / sociologue

J’ai vu un haut spectacle politique.

Théâtre de la Parole, tout théâtre l’est même s’il dit aussi l’indicible……ici l’In-dit (non indicible puisque finalement on va se le dire) du Trop-dit…Trop dit le toujours dit d’énoncés consensuels, communiquant par codes de rhétorique, et figures en celle-ci.  Nous appelant, sans le dire non plus, à penser ces codes et figures. Mieux à penser tout court sur les logiques tautologiques, où la représentation s’éveille de la répétition, dans la clôture pourtant de celle-ci.

Et que toute la question est de penser sur tout Même et tout Autre. La dialectique du même et de l’autre. Centralement quand c’est le Même et l’Autre de l’Homme. En Etres et non Figures. Etres demandant le trait d’être dans leur devenir. Ces êtres de chair qui parlent, car ils y sont pas qu’Etre de parole – ces acteurs, ces actrices-là, je les ai trouvé(e) remarquables en épures d’eux même, mais des épures avec des yeux, des mains, des gestes minimaux, des voix et finalement ils parlent de ce dont on parle, inoubliablement

…le grand Noir souple

…l’Innocent aux mains vides

…son copain non contradictoire – se contredisant

…les grands rhéteurs… enveloppant …cassant

…la jeune longue, jeune femme, qui quand même se souvient d’être venue d’ailleurs

…la médiatique rousse au numéro impayable

…la candide Marianne à côté de la plaque

Car on sourit et on rit, forme d’union, dans cette Humanité si peu unie.

Bravo donc. Merci à vous.

Michel Verret

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Anne Lamalle. Responsable du pôle Public du Louvre-Lens

Théâtre du lien, par Anne Lamalle.  / Responsable du pôle Public Louvre-Lens et Présidente de la compagnie Mange ta tête.

Je suis le travail d’Elsa Ménard depuis la lecture publique de sa pièce Euphémismes, une comédie française le 19 décembre 2005. Côté public, j’ai fait ce soir-là l’expérience d’un théâtre rare. Une expérience au sens premier, qui complète et modifie celui qu’elle traverse. Si en quittant la salle, j’en savais plus sur le monde dans lequel je vivais, j’en savais aussi beaucoup plus sur le théâtre.

Il me semble que le théâtre d’Elsa Ménard forme. Forme avec toute la valeur performative que recouvre ce mot et nous apprend, autant sur le monde que sur le théâtre.

Il forme au théâtre, révélant ce qu’il est, ou plutôt ce qu’il peut être. Comme une esthétique de la loi, ce théâtre-là exhibe la règle qui l’agit et dans la simplicité de ses dispositifs scéniques, privés de toute facilité, de toute séduction laisse sur scène un homme debout. Là. Présent au centre du milieu. Sur la frontière, au contact du monde d’un côté, et de ses semblables l’autre. Cet homme-là est celui que le souffle du monde traverse. Que la parole du monde traverse. Il est autrement dit l’homme nu des fondements du théâtre. L’homme seul des origines. Un héros. Celui qui, au risque du vertige fait face à sa condition. Celui qui résiste et dont la résistance se nourrie toute entière de l’expérience du sens. Si cet homme frappe les intimités, c’est qu’il porte en lui la conscience tragique que la vie n’est qu’un moment éphémère. D’où sa beauté. C’est qu’il porte en lui le besoin vital d’aller chercher le monde. De ne jamais cesser de le chercher. Car c’est en le cherchant que cet homme là – debout – est enfin en mesure d’écouter son propre souffle et de comprendre comment et pourquoi parfois, celui-ci manque. Si ce théâtre est précieux, c’est qu’il nous apprend qu’en faisant cet effort, nous apprendrons à savoir ce que nous avons à faire. Voilà pourquoi il frappe les intimités, ce que nous portons au plus profond de nous. Voilà pourquoi, il nous concerne.

Il forme au monde parce qu’à défaut d’habiller ses errances il tente de les dénuder au contraire, et cherche sous leur paraître à dévoiler leur fonctionnement et toute la violence de leur disfonctionnement. Il forme au monde, parce qu’il tente déjà « un » discours sur le monde. Patiemment élaboré, il est l’angle redoutable – et forcément redouté – à partir duquel penser le monde et se penser par soi-même au monde. Un discours à partir duquel l’expérience du sens devient possible et qui donne – redonne – au théâtre toute sa valeur citoyenne. Si tant est que ce théâtre-là soit politique, c’est qu’il engage son public sur la voie du sens, pour qu’aucun homme ne renonce à son humanité et trouve – ou retrouve – sa dignité dans l’effort même de la pensée et dans le risque qu’elle implique.  Théâtre du lien où la communauté se lit dans l’examen critique d’elle-même, où elle incise le réel pour mieux se construire dans ce lien. Théâtre donc d’une construction réciproque qui est celle du sens, où l’on apprend à s’aimer soi-même et par soi-même dans l’expérience du sens, qui est peut-être la seule et dernière chance qui soit encore la nôtre aujourd’hui.

Anne Lamalle.


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Premières impressions de Si je suis l’autre par Edith Rappoport

Edith Rappoport

SI JE SUIS L’AUTRE (149) d’Elsa Ménard,

 Depuis plusieurs années, la Collectif 12 de Mantes-la-Jolie organise à la rentrée d’octobre une rencontre ouverte à des compagnies qui font leurs premières expériences, peinant pour  trouver des lieux de représentation. Elles disposent ici d’un lieu de travail dynamique et chaleureux, parfois pendant plusieurs semaines et des amorces de production.
On y voit des spectacles souvent prometteurs, pas toujours aboutis, mais certains comme ceux la compagnie TOC de Mirabelle Rousseau ont pu faire éclore leur démarche de troupe. Elsa Ménard travaille depuis plusieurs mois sur la notion de racisme, elle avait présenté Euphémisme, une comédie française, au dernier Jeunes Zé Jolie, une longue mise en abîme des politiques d’immigration conçue à partir de citations de discours politiques et médiatiques. Si je suis l’autre en est la suite : trois hommes sont assis sur un banc, deux petits blancs et un grand noir. Ils devisent sur leurs différences, le premier affirme son racisme ordinaire, le noir s’en indigne calmement, le troisième tente de tempérer l’inexplicable haine de celui qui « n’est pas raciste, mais qui dit ce que tout le monde pense ». De discussions de bistrot en citations de propos  tenus par des responsables politiques- de Michel Rocard («  La France ne peut  accueillir toute la misère du monde » mais il avait rajouté « mais  elle en prendra sa part »  à Le Pen,  en passant par des Premiers ministres de droite- trois bons comédiens accompagnés par Elsa Ménard en rousse meneuse de jeu, mettent en lumière la peste brune qui menace notre pays.

Edith Rappoport

le théâtre du blog:

 

http://theatredublog.unblog.fr/2010/10/17/si-je-suis-lautre/

Le blog D’Edith Rappoport:

http://journal-de-bord-dune-accro.blogvie.com/


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